Symposium 3 : « Le Livre »
Cette troisième partie du compte rendu de la 3ème Conférence GID-Parmenides regroupe les interventions et les travaux des participants du symposium et des ateliers consacrés au Livre.
SYMPOSIUM 3 – Le Livre |
ATELIERS |
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Présidents :
Rapporteurs :
Introduction :
1. Vie et mort des livres :
2. La traduction, figure essentielle de la diversité :
Conclusion :
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L’avenir du livre en Méditerranée : Présidente :
Rapporteurs :
Participants : Éditer le livre / montrer le livre
Numériser le livre : numérique et biblio-diversité
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1. Vie et mort des livres
Jacques Jouanna (Académie des inscriptions et belles-lettres, France) « Un nouveau témoignage sur la vie, la mort et la survie des livres en Méditerranée au II siècle après J.-C. : Galien de Pergame et l’incendie des bibliothèques privées et publiques à Rome en 192 ». Galien, le médecin le plus célèbre de l’Antiquité après Hippocrate, qui vécut au II s. après J.-C. Son œuvre est immense, même si l’on retranche les traités inauthentiques [1]. Elle n’est pas seulement médicale, mais aussi philosophique, car selon sa propre formule, l’excellent médecin est aussi philosophe. Elle contient, de façon insoupçonnée des renseignements nombreux et précis sur l’histoire du livre dans le bassin méditerranéen. C’est, par exemple, Galien qui nous renseigne sur la façon dont les œuvres des tragiques athéniens, Eschyle, Sophocle et Euripide, ont survécu en venant d’Athènes à Alexandrie sous les Ptolémées. Ce témoignage mérite d’être évoqué en premier, puisque nous sommes à la bibliothèque d’Alexandrie. Pour enrichir sa bibliothèque, nous dit Galien [2], le roi Ptolémée Évergète (III siècle avant J.-C.) emprunta aux Athéniens sous caution tous les rouleaux de papyrus contenant les œuvres des trois tragiques pour en faire une copie luxueuse ; mais, contrairement à sa promesse, il préféra conserver les originaux et donna la copie aux Athéniens qui gardèrent la caution. C’est un bel exemple du prix que l’on accordait aux livres dans l’Antiquité et aux efforts que l’on pouvait déployer pour leur survie. Mais tous ces efforts pouvaient être réduits à néant par l’incendie. Ce n’est pas de l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie dont je parlerai, mais de l’incendie de Rome, sous l’empereur Commode en 192, où Galien perdit en un seul jour tous ses livres, ceux qu’il avait collectionnés et ceux qu’il avait écrits. Galien, né en Asie à Pergame, était venu s’installer à Rome où il fit deux séjours. Or lors de son second séjour, il fut victime de l’incendie où sa bibliothèque fut anéantie, en même temps que les bibliothèques du Palatin. On le savait par quelques allusions dans son œuvre conservée [3]. Mais la redécouverte tout à fait exceptionnelle, par l’équipe française de Médecine grecque de la Sorbonne/CNRS, d’un traité entier de morale de Galien intitulé Ne pas se chagriner , offre un nouveau témoignage de grande importance sur le contenu de la bibliothèque incendiée de Galien et par voie de conséquence sur l’histoire du livre au II siècle après J.-C. Ce nouveau traité, dont l’édition princeps date de 2007 [4], vient d’être publié en 2010 dans la Collection des Universités de France avec le texte grec, une traduction française et un commentaire continu [5]. Le traité a été retrouvé dans un manuscrit du monastère des Vlatades de Thessalonique [6]. Quel rapport peut-il y avoir entre un traité de morale sur l’absence de chagrin et l’histoire des bibliothèques ou du livre ? Il s’agit, en réalité, d’une lettre que Galien, résidant à Rome, écrit à un ami de Pergame qui lui avait demandé pourquoi il ne s’était pas chagriné alors qu’il avait perdu tant de choses lors de l’incendie de Rome. Galien explique dans la seconde partie les raisons pour lesquelles il a toujours maîtrisé dans sa vie le chagrin. Mais dans la première partie, pour renforcer le mérite qu’il a eu de ne pas se chagriner, Galien procède à un bilan de tout ce qu’il a perdu de plus précieux, ménageant une gradation savante dans la gravité des pertes : argent et or ; médicaments ; instruments chirugicaux ; livres. L’objet de la communication sera d’exposer tout ce que ce livre, que l’on peut qualifier de ressuscité, apporte de nouveau sur les bibliothèques de Galien, leur emplacement et leur contenu, et chemin faisant sur les problèmes concernant le livre dans l’Antiquité à partir du témoignage d’un médecin cultivé qui fut non seulement un collectionneur de livres hors pair, mais aussi un auteur polygraphe et qui fut, de surcroît, le premier auteur antique à porter un regard aussi personnel sur ses livres, qu’il en soit le possesseur ou l’auteur [7]. […] |
Pepa Michel, BNE (Bibliothèque Nationale d’Espagne), Espagne VIE ET MORT DES LIVRES La technologie de l’information a provoqué des changements significatifs au sein de notre société. Les changements sont tellement nombreux et rapides que cette période historique a reçu le nom de l’ ère de l’information et notre société, celui de la société du savoir . Presque sans nous en rendre compte, nous avons modifié nos habitudes, par la consommation de contenus numériques dans notre vie quotidienne. La culture numérique s’étend à un rythme effréné et touche de plus en plus de personnes. Elle génère beaucoup de richesse et s’ouvre à de multiples possibilités. Cette transition, du monde physique au monde numérique, s’accélère de plus en plus. De meilleurs supports, du point de vue quantitatif et qualitatif, sont créés pour la diffusion des secteurs qui produisent des contenus numériques, comme la musique, la photographie, les jeux vidéo, la télévision, les réseaux sociaux, la publicité, la presse et les livres. De telle sorte qu’en 2007, une année dominée par une conjoncture mondiale économique difficile, cette industrie a atteint un chiffre d’affaires de plus de 600 milliards d’euros. Ces changements, provoqués par les progrès technologiques, ont des répercussions au sein de l’industrie de l’édition, du livre et de la lecture. On assiste à l’apparition de l’impression numérique, des librairies virtuelles et des livres électroniques, qui élargissent le concept de livre, qui avait toujours été lié au secteur de l’imprimerie. De plus en plus d’éditeurs traditionnels constatent le potentiel de la publication numérique et mettent en place les efforts nécessaires afin de s’assurer une place dans ce marché en pleine croissance. Depuis l’apparition des livres numériques, le concept de livre a été redéfini, étant donné qu’il ne peut plus être considéré uniquement comme une œuvre imprimée ou manuscrite, formée par un ensemble de feuilles reliées entre elles. Désormais, le matériel à même de stocker et de transmettre un certain ensemble d’informations peut être aussi bien tangible qu’intangible. Le concept de lecteur -de lecteur cultivé- est également en train de changer en cette ère numérique, du fait de la nécessité d’acquérir la culture technologique suffisante pour comprendre le fonctionnement du format numérique : il est nécessaire de comprendre l’organisation de l’information, la façon et les endroits où la trouver, la manière d’interagir avec elle et la manipulation de certains appareils et outils. Le contenu a été séparé du support. Il est désormais possible d’éditer un livre sur papier sans avoir à réaliser un tirage initial d’un nombre minimum d’exemplaires. Les imprimeurs qui publient à la demande ( print on demand ) impriment uniquement les exemplaires des livres en fonction des commandes qu’ils reçoivent des clients qui effectuent leurs commandes par Internet. Deux problèmes sont ainsi éliminés : les pertes économiques découlant du stockage et des retours de marchandise, qui encombrent parfois les magasins des éditeurs conventionnels, et le décatalogage : les livres continuent à être visibles sur Internet, aussi longtemps que nécessaire. La force d’Internet –en tant qu’espace infini– réside dans le fait que les magasins virtuels rendent universel l’accès aux contenus éditoriaux. N’importe qui peut connaître l’existence d’un livre concret et, où qu’il soit, peut recevoir un exemplaire imprimé ou accéder immédiatement à sa version numérique. Cela se traduit par le fait que les librairies virtuelles voient augmenter leur nombre de lecteurs potentiels, parce qu’elles multiplient les possibilités de diffusion et de visibilité de l’offre, et parce qu’elles éliminent non seulement les barrières géographiques mais aussi physiques. Le livre électronique, également connu sous le nom d’ eBook , écolivre ou livre numérique , est une version électronique ou numérique d’un livre. Le dispositif utilisé pour lire ces livres porte le même nom. Par conséquent, il est nécessaire d’effectuer une distinction entre le lecteur numérique – eReader – et le livre électronique. La fièvre des lecteurs numériques a surgi avec une telle force, que l’on recherche actuellement une alternative pour le monde éditorial. Une projection dans l’avenir du livre numérique nous porte à pronostiquer une croissance cumulée sur la période 2007-2011 de 179 %, qui représenterait 1,4 % (605 millions d’euros) du total du commerce des livres en 2011. Un lecteur numérique est une carte mémoire permettant de stocker jusqu’à des centaines de livres électroniques. L’accessibilité est le point fort du livre électronique, étant donné qu’il permet de lire presque n’importe quel document, n’importe où. Bien qu’il ne soit pas possible de le feuilleter -passer les pages avec le doigt est de l’histoire ancienne -, la sensation de lire un document écrit sur papier demeure, puisque cet aspect est maintenu, grâce à la teinte électronique comportant quatre niveaux de gris, à l’absence de rétro-éclairage et à de simples boutons pour avancer et revenir en arrière. Compte tenu du fait que la consommation de batterie est uniquement liée au changement de page, celle-ci dure très longtemps : on peut lire environ 8 000 pages avant de la recharger. Le dispositif est de la taille d’une feuille, son écran est tactile, il est portable et doté d’une connexion à Internet, permettant de se connecter aux principaux sites Internet de vente de livres électroniques, ainsi que de télécharger les éditions en PDF des journaux papier. Il pèse environ 280 grammes. Ceci étant dit, le livre électronique n’est plus uniquement un support de lecture, mais il contient également d’autres fonctions, qui élargissent son champ d’utilisation. […] |
2. La traduction, figure essentielle de la diversité |
Yohanan FriedmannInstitute of Asian and African Studies, The Hebrew University, Israël) Translations from Arabic into Hebrew and from Hebrew into Arabic (« Traduire de l’hébreu vers l’arabe et de l’arabe vers l’hébreu ») Let me start by thanking the organizers for inviting me to this fascinating symposium. Reading translated works produced in a neighbouring cultural area is probably the most feasible way to get acquainted with an adjacent culture. It would of course be better if many people knew the language of the “other”, but this not a really feasible proposition when one speaks of real knowledge and not of the ability to conduct basic conversation for purposes of tourism. When discussing translations from Arabic into Hebrew and vice versa, it is appropriate to start this survey with the translations of the Jewish and Muslim scriptures. This process started in the 10th century when Saadia Gaon, known in Arabic as Saadia (or Sa`īd) b. Yūsuf al-Fayyūmī (882-942 AD), who was born in Egypt and lived most of his productive life in Iraq, translated the Torah into Judaeo-Arabic, this is to say Arabic written in the Hebrew script. This is how the first two verses of Genesis sound in 10th century Judaeo-Arabic : awwal ma khalaqa Allah al-samāwāt wa al-arḍ. wa al-arḍ kānat ghāmira wa mustabḥara wa ẓaām ‘alā wajh al-ghamr wa rūḥ Allah tahubbu ‘alā wajh al-mā’. Moving to translations of the Qur´ān into Hebrew, these started in the early modern period (17th and 18th centuries) ; though these translations were not made from the original Arabic, but rather through the mediation of Latin or other European languages. The first Hebrew translation of the Qur´ān from the original Arabic was made by the Jewish German scholar Herrmann Reckendorf (1825-1875) and published in Leipzig in 1857. Then we had two more modern translations in the 1930s (by Yosef Yoel Rivlin) and in the 1970s (by Aharon Ben Shemesh). In 2005 a new scholarly translation of the Qur’ān into contemporary Hebrew was published by Uri Rubin, professor of Arabic at Tel Aviv University. Yosef Yoel Rivlin also translated into Hebrew the standard biography of the Prophet Muḥammad ( al-sīra al-nabawiyya ) by Ibn Hishām and parts of the Thousand and one nights . We also need to mention several works written in Judaeo-Arabic in the mediaeval period and translated into Hebrew. Yehuda ha-Levi (1075-1141) wrote Kitāb al-radd wa al-dalīl fī naṣr al-dīn al-dhalīl (“The book of refutation and proof in support of the despised religion”). The book’s framework relates to a tradition about a religious disputation between Jewish, Christian and Muslim sages at the court of the Khazari king in the 8th century ; as a result of this disputation the king embraced Judaism. This framework allowed Ha-Levi to present his arguments in favour of Judaism in its polemics with Christianity and Islam. The book was translated into Hebrew by Yehuda Ben Shaul Ibn Tibbon (d. 1190). Another major work of medieval Jewish philosophy, written in Judaeo-Arabic by Moshe ben Maimon, Mūsā b. Maymūn in Arabic and Maimonides in Latin (d. 1204) for the benefit of Middle Eastern Jews whose main language of communication in the medieval period was Judaeo-Arabic. The work’s original name in Judaeo-Arabic is Dalālat al-ḥāʾirīn , “Guide of the perplexed.” It was translated into Hebrew by Shmuel Ibn Tibbon under the title of Moreh Nevokhim for the benefit of European Jews who did not know Arabic (12th century). There is also a modern Hebrew translation by Professor Michael Schwartz of Tel Aviv University. Let me now say something about recent translations from Hebrew into Arabic, mainly in Egypt. I had very little time to prepare this and the list is probably not complete and there are more items in the modern novels category. My list includes 17 items. 6 are modern novels or literary analyses, 5 deal with Israeli or Middle Eastern politics, 3 with Jewish religion or related matters and 3 with Jewish history. In 2001, the Markaz al-dirāsāt al-sharqiyya of Cairo University published an Arabic translation of a volume of studies related to the Cairo Geniza, edited by Mordechai Akiva Friedmann of Tel Aviv University. I would also like to mention in particular a translation into Arabic which was published in Israel in 1966 at the initiative of the Hebrew University and includes an anthology from the prose and poetry of Haim Nahman Bialik, who died in 1934 and is considered the national poet of Israel. The translation was produced by the Israeli Arab poet Rāshid Ḥusayn. I would like to read a few lines in which Bialik speaks about the sources of his poetry, in a poem entitled lo zakhiti ba-or min ha-hefqer , “I have not found my light on the street”. Here is the Hebrew original : lo zakhiti ba-or min ha-hefqer ṣaddiqūnī lam aḥẓa bi-’l-nūri ‘afwan I have not found my light on the street |
ATELIER : Numériser le livre : numérique et biblio-diversitéDov Winer (Israel MINERVA Network for Digitisation of Culture, Israël) Europeana and the Mediterranean Region
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Notes :
[1] Voir V. Boudon-Millot, Galien, Introduction générale, CUF, Paris, 2007, p. CXXX sq. : « S’il faut donner quelques chiffres, il convient de rappeler que le corpus galenicum rassemble plus de 440 traités galéniques ou pseudo-galéniques, conservés ou non. Les seuls traités conservés de Galien représentent ainsi plus du huitième de la littérature conservée d’Homère à la fin du II siècle de notre ère, et près du dixième de tous les textes conservés d’Homère à 350 de notre ère. »
Jouanna – Galien de Pergame – Alexandrie (pdf)
Friedmann – Translations from Arabic into Hebrew & from Hebrew into Arabic (pdf)
Winer – Europeana and the Mediterranean Region (pdf)
Pepa Michel – Vie et mort des livres (pdf)