Le forum franco-uruguayen des Sciences, des Technologies et de l’Education pour un développement durable : « un regard vers le futur » s’est tenu les 3 et 4 décembre 2014 à Montevideo – Uruguay
Orientation générale du forum
Le forum a été une occasion privilégiée pour élargir et renouveler les relations scientifiques entre la France et l’Uruguay. C’est pourquoi, il a été orienté vers la formulation des recommandations concrètes et tangibles reposant sur :
- les constats soulignés et les orientations exprimées par les autorités des deux pays concernés, des hautes personnalités et des intervenants de haut niveau
- l’exemplarité d’expériences particulièrement significatives issues et/ou envisagées dans le cadre de la coopération scientifique franco-uruguayenne
- la richesse des débats et des échanges
A cette occasion, François Guinot, Président Honoraire de l’Académie des Technologies et Président du Groupe Inter-Académique pour le développement (GID) s’est exprimé sur « Les transferts de technologies comme moteurs d’innovation et de développement »
Il rappelle, dans son discours, que le philosophe et sociologue français Raymond Aron distinguait trois révolutions dans l’histoire de l’espèce humaine : la conquête du feu, la révolution néolithique et la révolution technologique.
Ces trois révolutions ont ceci en commun qu’elles illustrent le lien établi depuis toujours entre les progrès de l’homme et le développement de ses outils, de ses techniques, de ses technologies.
Pendant des millions d’années, le processus d’hominisation s’est développé par la symbiose entre l’homme et l’outil. Sans les hominidés, l’outil serait resté bâton, pierre ou cri. Sans l’outil, les hominidés n’auraient pas évolué en « homo sapiens ». L’outil démultiplie leurs capacités naturellement limitées. Fruit de la pensée conceptuelle, l’outil dégage du temps au profit de celle-ci et du déploiement de la pensée symbolique. Hominidés et outils sont durablement associés et tirent un bénéfice mutuel de cette association. C’est la définition même de la symbiose.
L’homme est ainsi à la fois l’auteur et l’œuvre de ses propres savoirs. Il est l’inventeur de lui-même.
L’homme s’invente dans ses deux composantes, naturelle et culturelle, indissociables et interactives. La maîtrise d’un outil comme le feu le démontre. L’espérance de vie augmentera par la réduction des parasitoses due à la cuisson des aliments ; et par une résistance accrue au froid. Elle ouvrira la possibilité d’installation dans des régions nouvelles.
Et qui dira, pour des groupes rassemblés à la lueur fantasmagorique de leurs feux, l’influence de veillées jusqu’alors impossibles sur le déploiement de la pensée symbolique et des mythologies, fondamentales pour leur évolution?
Plus tard « homo sapiens » s’engage dans le refus de subir la domination écrasante de la nature : c’est la révolution néolithique.
La sédentarisation demande le village. L’agriculture appelle la métallurgie qui suppose la cité, enceinte défensive, protectrice des réserves de nourriture et du trésor, et conduit par conséquent a la société.
En instaurant la société, l’homme se fait l’auteur d’un super-outil devenu nécessaire à son développement. Il en est également l’œuvre puisque ce super-outil le transforme : il devient « un homme sociétal ». Par une symbiose entre la société et les techniques, la société s’invente elle-même. Elle le fait, elle aussi, dans ses deux composantes, naturelle et culturelle. Sa composante naturelle intègre toutes les relations qu’elle entretient avec la nature en tant que « corps social ». Elle porte par ailleurs une culture collective qui intègre les croyances, organise les rituels, établit les règles de la vie en commun, développe les savoirs, les accumule dans la mémoire collective, en assure la transmission, et enrichit la langue qui est la matrice de la pensée… Devenu « homme sociétal », chaque individu participe à l’évolution de ce super-outil et en reçoit les bénéfices en proportion des liens qui unissent ses composantes personnelles aux composantes collectives, c‘est-à-dire en proportion du degré de cohésion de la société.
La révolution technologique annoncée par Raymond Aron embrase une espèce humaine qui comptera demain neuf milliards d’êtres humains; neuf fois plus qu‘au temps de Thomas Malthus. Sous son influence, l’espèce humaine entière se transforme en une hyper-société chaotique, sans trouver la cohésion nécessaire à son développement. 2 des 3 milliards attendus d’ici à 2015 naitront dans des pays pauvres. L’émergence des pays concernés est la condition nécessaire à toute concrétisation d’un véritable développement durable.
L’Afrique est au cœur de ce problème. Elle comptera alors un milliard d’habitants de plus.
Les statistiques montrent que la pauvreté y recule en proportion mais cela ne doit pas cacher qu’en valeur absolue le nombre de pauvres augmente.
Les potentiels de ce continent sont aussi immenses que ses problèmes. Il est de l’intérêt de tous les pays industrialisés et émergents de contribuer à son développement. Il est important de mobiliser tous les savoirs pour y parvenir et les transférer selon des modalités nouvelles.
L’urgence est criante. Il s’agira de s’engager dans un véritable co-développement avec les pays africains. Il consiste à définir avec eux les contenus à donner à ces transferts de technologie et les moyens requis pour les intégrer dans leurs sociétés ; qu’il s’agisse de santé, d’éducation, d’enseignement, de recherche, d’infrastructures, d’urbanisation, d’industrialisation.
Ainsi, François Guinot rappelle ce qui a été entrepris avec le GID, Groupe Inter-académique pour le développement. Cofondé par des académies européennes et africaines, ce groupe entend mobiliser tous les savoirs qu’il est nécessaire de réunir pour contribuer au co-développement euro-africain : sciences, technologies, médecine, agriculture, sciences sociales. La mise en commun des savoirs et des expériences de chaque académie, la puissance des réseaux euro-méditerranéens et euro-subsahariens constitués par le GID, en font un ensemble unique capable d’aborder en tout indépendance tous les problèmes posés par le développement. Et de le faire avec tous les acteurs concernés, décideurs politiques et entrepreneurs, enseignants, chercheurs, représentants de la société civile, ONG, et en association avec les chaires UNESCO. Et de le faire avec une obsession: l’emploi des jeunes et plus précisément l’accès des jeunes à des emplois durables c’est-à-dire a des emplois rentables.
Tout montre qu’une solidarité nouvelle, qu’il est possible d’établir sur des intérêts mutuels, sera le fondement du développement durable. Elle devrait entrainer toutes les sociétés. Le GID va, par exemple, engager des réflexions tripartites franco-sino-africaines, sur les problèmes liés à l’explosive urbanisation africaine. ll est bon d’échanger les vues et les expériences. Le GID y est prêt.
Que dans chaque société, chaque personne humaine accède à de nouveaux degrés de liberté, que chaque société contribue à la marche de l’ensemble des êtres humains vers la plénitude de leur humanité, voilà au fond, ce qu’il faut chercher à réaliser par l’éducation, les sciences et les technologies.